Rencontres des cépages modestes

DÉFENSE ET ILLUSTRATION DES «  CÉPAGES MODESTES  » (2)

Rencontres des cépages modestes 2011

Samedi 29 octobre 2011

Troisième débat - 2e partie

(voir 1ère partie) (voir 3e partie)

Michel Grisard, vigneron, Fréterive (M. G.)
Pascal Jamet, vigneron, Arras-sur-Rhône (P. J.)
Anne Déplaude, vigneronne, Tartaras (Anne D.)
Robert Plageoles, vigneron, Cahuzac-sur-Vère (R. P.)

animé par André Deyrieux (André D.) et Jean Rosen (J. R.)

enregistrement André Deyrieux (Persan), transcription Anne-Marie Rosen (Durezza) mise en forme Denis Wénish (Pinot gris) et Jean Rosen (Petit Verdot) relu par Michel Grisard

André D. : Après ces deux beaux témoignages sur le fait que les cépages oubliés ont de l’avenir (ici), nous allons passer maintenant au témoignage d’Anne Déplaude qui va nous parler de deux choses : le réseau Vignobles et cépages rares et l’Association pour la restauration et le développement du vignoble des Coteaux du Gier. Ce sont deux projets qui évidemment sont liés. Qu’en est-il ?

Anne Déplaude : Merci à tous. Je vais faire une contribution beaucoup plus modeste que celle de M. Plageoles. Je me dis que nous sommes sur la bonne voie parce qu’on a cherché, on a trouvé, on a planté et hier vous avez goûté du vin. Donc on n’est pas trop dans le faux. Si le Gaillacois n’est pas connu, alors que dire des Coteaux du Gier ? C’est encore moins connu. Je vais donc vous brosser un peu le tableau. Situé entre Lyon et Saint-Étienne, le vignoble des coteaux du Gier est classé en « vin-de-pays-des-collines-rhodaniennes », une grande zone qui va jusqu’à l’Ardèche (Pascal a des vins en vin-de-pays-des-collines-rhodaniennes). Les coteaux du Gier sont la partie septentrionale de cette zone qui, en fait, longe grosso modo la vallée du Rhône sur une bande de 10 à 20 kilomètres. C’est un petit vignoble à cheval sur les départements du Rhône et de la Loire qui, en 2004, n’avait plus qu’une trentaine d’hectares. Et sur les trente hectares, la moitié environ seulement était vinifiée par des vignerons professionnels ; le reste, c’était des anciens qui faisaient leur vin pour l’autoconsommation. C’est un micro vignoble.

Au niveau historique, il y a des parallèles à faire avec l’Aveyron, puisque la vallée du Gier est une ancienne vallée industrielle avec, à l’époque pré-phylloxérique, beaucoup de cépages différents, jusqu’à une trentaine, dont des cépages autochtones, parce que nous aussi étions une zone d’échanges, un bassin de consommation où, après le phylloxéra, on est tombé dans la période des hybrides : beaucoup de vins peu alcoolisés, de qualité médiocre, en tout cas jugés tels aujourd’hui. À l’époque, les mineurs en consommaient comme un aliment, jusqu’à sept, huit litres par jour.

Notre problème à nous est que le réencépagement de qualité s’est fait de manière très tardive, plutôt dans les années 1970, du fait qu’il y avait très peu de vignerons professionnels, à la différence de la vallée du Rhône où ils étaient restés nombreux. Les gens du coin en ont une mauvaise image, puisque pour eux c’était le « vin des mineurs », donc de la piquette, et les nouveaux arrivants ne connaissent pas du tout le vignoble, puisqu’aujourd’hui on est un secteur périurbain où les gens viennent habiter mais continuent de travailler en ville. On a donc une ruralité distendue, entre la campagne et la ville, mais avec les avantages et les inconvénients des deux côtés.

Les coteaux du Gier commencent à démarrer. Il y a eu une première tentative de relance dans les années 1980- 1990, uniquement centrée sur le secteur professionnel, impulsée notamment par Gilbert Nicaise, toujours lui, qui après la relance du condrieu, s’était dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire dans les coteaux du Gier. Mais, du coup, quand on ne travaille qu’au niveau professionnel, qu’il n’y a pas beaucoup de vignerons et qu’on n’arrive pas à en installer, les dynamiques de relance s’essoufflent. C’est un petit peu ce qui s’est passé et en 2003, les vignerons en place se sont dit : on peut essayer de relancer quelque chose, mais en s’appuyant sur une mobilisation plus large, en impliquant des gens hors du secteur, donc des particuliers. Un peu ce que vous avez fait dans l’organisation des « Rencontres », c’est-à-dire des gens intéressés par la vigne, le vin, le terroir et qui peuvent aider à avancer.

En vous parlant, je m’aperçois que j’ai oublié de vous dire d’où je parlais. Donc je suis fière de vous dire que demain, je suis vigneronne puisque je m’installe avec mon époux sur le domaine. Jusqu’à présent, j’étais salariée, j’avais un temps d’animation pour l’association qu’on a créée en 2006. Il y a donc une vigneronne de plus sur le secteur.

Je vais vous parler un peu rapidement du réseau régional. L’association a plusieurs axes d’action. Elle a l’axe de réhabilitation du patrimoine viticole, notamment de la réhabilitation des anciens cépages, mais pas seulement. Quand on parle d’anciens cépages, effectivement, il faut les planter, mais pour les planter il faut du foncier. Et après, pour les faire produire et les vinifier, il faut des vignerons. Du coup, on a un deuxième axe qui est l’appui aux vignerons en place et à l’installation de nouveaux vignerons. Ce deuxième axe est en lien fort avec le territoire puisque nous essayons de renforcer le lien social sur le territoire, d’en renforcer l’attractivité, pour que finalement, ce lien rural un peu distendu que j’avais évoqué se renforce et que les gens viennent s’installer, parce qu’il y a de l’activité, parce qu’il y a de beaux paysages, parce que la vigne, à notre sens, permet de renforcer le sentiment d’appartenance des gens à un lieu. Ça fait partie intégrante de notre projet. Quand on a commencé à travailler à ce projet — l’association a été créée en 2006 mais on a commencé à travailler deux ans auparavant —, on a associé dès le départ les élus locaux parce qu’il nous semblait que le projet était important pour le territoire. En 2006, quand on a commencé à travailler, tout de suite on a fait la détermination, on est allés chercher des souches de cépages, on a fait des prélèvements, on a greffé. On a planté en 2008 une vigne conservatoire et en 2009 et 2010, des vignes expérimentales, puisque sur le volet « réhabilitation des anciens cépages », on avait trouvé des choses intéressantes qui, évidemment, n’étaient pas inscrites au catalogue. Alors, nous avons été un peu plus formalistes. On a planté, on a instauré deux parcelles de vignes expérimentales sur lesquelles on a travaillé avec le CTPS en termes de protocole, quelque chose d’assez lourd. On a planté nos vignes. Nous nous sommes intéressés dans un premier temps à deux cépages : le mornen noir, que vous avez pu goûter hier, et un autre cépage blanc qui s’appelle le chouchillon.

La chance qu’on a, comme je vous l’ai expliqué, c’est que notre vignoble est à cheval sur le Rhône et la Loire. Le mornen noir est un cépage originaire du village de Mornant, situé côté Rhône, et le chouchillon serait originaire de Chagnon, situé côté Loire : deux villages qui sont sur le territoire, c’est une chance importante. On a essayé de se focaliser, même s’il y en a d’autres, comme le verdat, le pointu, la rousse. Il y avait beaucoup de complantage, comme l’a évoqué Anthony hier. On a planté ces parcelles, on a travaillé, on va récolter, la première récolte va avoir lieu l’année prochaine. Et quand on a fait ça, on s’est rendu compte qu’au niveau de Rhône- Alpes, il y avait quantité de petites initiatives comme celle- là, similaires au projet associatif qu’on portait.

C’est le cas dans le Trièves, au sud de Grenoble, au pied du Vercors, que Pascal a évoqué tout à l’heure. Dans cette zone, il y a des fous qui se sont dit : pourquoi pas mettre de la vigne ? À 800 mètres d’altitude. C’est aussi le cas dans le nord de l’Ardèche dans la vallée du Doux ou en Tarentaise, ou en Maurienne avec Michel Grisard. Comme dans tout réseau, derrière, il y a des hommes, et Gilbert Nicaise comme Roger Raffin ont été des chevilles ouvrières de l’interconnaissance des personnes impliquées dans le réseau. Forts de notre expérience locale, nous avons eu envie d’aller voir de plus près ce que faisaient les autres. On a commencé à partir de juin 2009, et en 2010, pour des raisons de financement et d’une volonté d’avancer ensemble, on a créé ce réseau qu’on a intitulé Vignobles et cépages rares dont le travail a démarré en février 2010. On a voulu l’intituler Vignobles et cépages rares parce que « cépages rares », évidemment, c’est l’objet de la journée d’aujourd’hui et que chacun peu ou prou avait travaillé à la réhabilitation d’anciens cépages, mais il y avait des projets de relance de vignobles qui ne s’étaient pas forcément appuyés sur d’anciens cépages. Et on voulait quand même intégrer ces expériences-là parce que pour nous, c’était des expériences de développement local qui font partie intégrante du concept que nous avions développé au niveau des Coteaux du Gier. Nous n’avons pas voulu créer de nouvelle structure pour ce réseau. Nous étions tous assez accaparés localement, et nous avons pu vérifier ce que disait M. Plageoles : tout cela demande beaucoup d’énergie. C’est donc une structure informelle qui est portée d’un point de vue administratif et financier par l’association des Coteaux du Gier parce qu’il se trouve qu’on avait du temps salarié et des financements de la région Rhône-Alpes. L’association a donc essayé de porter cette animation et on se rencontre régulièrement. On a fait cinq ou six réunions par an. L’objectif du réseau était d’essayer d’appuyer les initiatives locales, et d’aider les relances dans chacun de nos territoires.

Chacun avait fait quelque chose. Nous avions planté des vignes expérimentales. En Ardèche, le projet était porté par un Office de tourisme, et ils avaient travaillé sur tout ce qui était valorisation paysagère, donc recueil de mémoire. Ils avaient travaillé avec une ethnologue, ils avaient fait des travaux de réhabilitation de patrimoine bâti. Chacun avait des compétences au sein du réseau. Il fallait donc formaliser tous ces types d’action.

Sept structures participent actuellement au réseau. On a essayé de mieux se connaître, puis de décrire les expériences, les actions, ce que chacun avait fait, et pour certaines actions, d’aller plus loin, d’aller jusqu’à la méthode dans un objectif de transfert, d’un territoire à l’autre, non seulement au sein de Rhône-Alpes, mais éventuellement à l’extérieur, parce qu’au fur et à mesure qu’on travaillait, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’autres choses qui avaient été faites ailleurs en France et que, plutôt que de réinventer l’eau chaude, ça irait plus vite de se servir de l’expérience des autres.

Il y a donc eu un gros travail de formalisation qui est en train d’être finalisé, en prenant la forme d’un recueil d’expériences : 25 ou 26 fiches-action, qui décrivent ce que chaque association a fait. Il y a aussi une quinzaine de fiches-méthode, et une présentation des structures qui sont membres du réseau. Ce document a vocation à être distribué : il est en train d’être finalisé et si certains d’entre vous sont intéressés, c’est diffusable. Il faut que ça serve.

L’autre axe de travail, c’est tout ce qu’on a fait sur l’appui à la réhabilitation des anciens cépages, puisque tous les membres du réseau n’avaient pas encore forcément travaillé à la réhabilitation des anciens cépages, mais certains avaient quand même bûché sur le sujet. On s’était dit : plutôt qu’aller demander les uns après les autres au CTPS ou à M. Boursiquot comment on fait, on va essayer de structurer la réflexion et d’avancer pour faciliter les démarches, bien connaître comment ça fonctionne pour essayer de structurer tout ça. On a fait notamment une rencontre chez Pascal Zanet avec Jean-Michel Boursiquot et Christophe Sereno pour voir comment faire les inscriptions au catalogue, quel était l’état de la règlementation, quelles étaient les démarches à faire, comment ça allait évoluer par la suite, quelles étaient les opportunités. Il y avait aussi France Agrimer, et Sylvain Bernard. On a essayé de fédérer tous les acteurs et coordonner les demandes pour que nos interlocuteurs, qui sont très occupés, ne soient pas sollicités au coup par coup.

Puis on a travaillé aussi sur toute la problématique de l’installation, puisque dans les structures impliquées dans le réseau, la problématique est la relance du vignoble quand on part de quasiment rien, puisque nous avons des territoires qui avaient oublié, ou en tout cas mis de côté leur vocation viticole, et donc sur lesquels il n’y avait pas d’exploitation viticole à reprendre clés en mains. Ce qui signifie repartir de zéro, recréer un vignoble depuis le début : trouver le foncier, défricher, replanter, attendre que ça entre en production, trouver le bon cadre administratif, les droits de plantation, comment on les récupère.

Pour revenir au Trièves, c’est un secteur où il n’existe que des droits de plantation de consommation familiale. Et il se trouve que les douanes ont fait du zèle. L’Isère est un des rares départements où ils arrivent à tracer l’origine des droits. Sur tous les autres départements, en tout cas chez nous, on a les droits de plantation, mais les douanes sont incapables de dire comment ils ont été créés, comment ils ont été générés au départ, est-ce que c’était des droits qui ont toujours été commerciaux ou est-ce que c’est des droits qui ont été d’origine familiale et qui ont basculé sur le volet commercial. Dans l’Isère, comme il y a peu de vignes…

M. G. : Ce n’est pas qu’il y a peu de vignes, mais qu’il y a peu de vignes en appellation : il y a encore beaucoup de vignes de consommation familiale sur toute l’Isère, 400 hectares, dont une centaine chez les professionnels, et encore…. Dans les années 1900, il y avait 33 000 hectares de vignes.

Salle : Quand ils ont restructuré les vignobles de la région, ils ont pu acheter des droits qui étaient familiaux, donc des droits de consommation personnelle, et les transformer en droits professionnels. Ils ont replanté 50 hectares de vignes.

Anne D. : Les douanes sont un peu obtuses, et comme les douanes sont un État dans l’État et que France AgriMer n’a aucun moyen de pression, aujourd’hui, l’arrachage de vignes plantées ne génère pas de droits, et le vin produit ne peut pas être vendu, ce qui, d’un point de vue développement, est sclérosant. Nous connaissons un jeune qui essaie de s’installer depuis dix ans, avec un potentiel de commercialisation certain : l’endroit est très touristique, il y a une approche de développement, le centre Terre Vivante avec une démarche résolue autour de l’agriculture biologique, et des consommateurs avertis sur ce créneau-là. Notre pauvre Samuel a même des droits de plantation, puisque avec France AgriMer, on a fait un gros travail, notamment dans le cadre du réseau : on a rencontré la DRAF (Direction régionale de la culture de la forêt), on leur a expliqué que quand on lance un vignoble, on part de rien, donc il faut des droits. Mais comme pour avoir des droits, il faut un atelier viticole, mais que nous n’en avons pas… On leur a expliqué, ils ont compris, ils ont été très bien, ils ont appuyé, ils ont fait des courriers, ils ont dit qu’il fallait entrer dans un processus classique d’installation avec des aides à l’installation, etc… Sauf que la règlementation est encore une fois mal faite puisque, quand on part de rien, on est quand même obligé de justifier la création d’un revenu agricole dans les deux années suivant l’installation. Mais quand on plante de la vigne, elle n’entre en production qu’au bout de quatre ou cinq ans ! Aujourd’hui, notre ami Samuel avait des pieds de vigne et des droits etc… sauf que… Les terrains sont prêts, il voulait planter au printemps et il n’a pas pu planter… Et s’il plante quand même, les douanes vont le faire arracher…

Salle : Dans n’importe quelle profession, on peut être entrepreneur en cinq minutes sur Internet, mais quand on est vigneron, c’est autre chose.

Anne D. : La question de l’installation est pour nous une des questions centrales, de même que la question de la réhabilitation des anciens cépages. C’est vraiment l’une des questions clés sur laquelle on a souhaité travailler.

Le réseau a organisé le 14 novembre 2011 une journée intitulée : « Quel avenir pour les vignobles oubliés ? », dans les locaux de la Région Rhône-Alpes à Lyon à côté de la gare Perrache. Cette journée veut restituer le travail accompli dans la réflexion menée au sein du réseau. Elle veut aussi élargir sur des problématiques hors Rhône-Alpes, pour enrichir la réflexion et pour voir aussi comment on peut continuer, quels axes de travail on choisit et avec qui, comment on fédère. C’est intéressant pour nous d’être présents aujourd’hui parce que les « Rencontres des cépages modestes », c’est aussi un certain nombre d’acteurs susceptibles d’être intéressés par ces projets.

P. J. : C’est un signe d’encouragement que de voir que dans diverses régions, des tas d’acteurs sont intéressés par cette problématique. Pour nous, le réseau a permis individuellement de nous agglomérer, de nous retrouver, de nous renforcer un peu, de nous motiver aussi. Comme Samuel, dans le Trièves, avec ses difficultés, qui a du monde autour de lui pour l’aider, nous en sommes tous là. Si, au niveau français, on arrivait à agglomérer toutes ces initiatives, ce serait déjà une première avancée. Et quand j’entends Robert Plageoles parler des initiatives italiennes (ils sont très en avance sur l’utilisation des cépages autochtones), je me dis que nous pourrions arriver à avoir une internationale de l’ampélographie ou des cépages, et qu’on est au début de quelque chose.

André D. : En Grèce aussi, ils ont bien besoin d’êtres aidés, car il y a beaucoup d’initiatives autour de cépages autochtones.

M. G. : C’est en novembre de l’an dernier que j’ai participé aux rencontres en Italie, à Canelli, avec Anna Schneider de l’université de Milan, une élève de Galet. Le sujet était « L’ampélographie des années 1800 ». C’était une excuse pour faire se rencontrer à peu près toutes les régions d’Italie, avec leurs vieux cépages et les travaux qui ont été faits. Ces rencontres devraient se refaire. Nous étions un petit groupe de spécialistes, environ une quarantaine de personnes. Il faut savoir qu’en Italie, ils ont gardé leurs cépages beaucoup plus qu’en France. En France on a adopté une politique qui a fait du ménage pour « simplifier ».

J. R. : Apparemment, d’après ce que j’ai cru entendre il y a quelque temps, la quantité de cépages en Italie et en France est assez semblable : entre 500 et 600.

M. G. : Actuellement, en France, l’ampélographie de Vassal fait référence, mais dans les années 1800, l’Italie a créé des conservatoires très importants qui existent encore, notamment dans la province de Turin, et ils ont gardé leurs racines au moins autant que nous.

Salle : S’il y a bien une structure qui devrait entrer en jeu là-dedans, c’est le Parlement européen. C’est là-bas qu’il faut agir et coordonner des actions. L’international c’est bien, mais on a une Europe qui existe. Pourquoi par ce biais-là ne pas envisager une sorte de centralisation d’anciens vignobles avec peut- être un système d’encouragement financier ? Est-ce que vous l’envisagez ou bien est-ce que c’est déjà en cours?

M. G. : Le centre d’ampélographie a été à l’origine d’une initiative du Conseil Général qui a été intéressé pour monter des dossiers locaux afin d’aller chercher des aides européennes. On a réussi à monter un dossier (Vin’Alp) en partenariat avec la province de Turin et la Scuola Malva, une fondation où ils ont des conservatoires, en vigne et en pommiers (450 variétés). Mais ils ont encore à faire. On a réussi à avoir un budget de 1,2 M € sur la France pour avoir des conservatoires. Mais dans ces budgets s’est greffé une recherche sur la typicité des cépages, les terroirs, un travail de recherche sur l’histoire. Cela fait beaucoup d’argent, mais il y a quand même 16 conservatoires qui vont être mis en place. Les quatre cépages pilotés par le syndicat des vins sont jacquère et altesse en blanc et mondeuse et persan en rouge.

L’histoire du persan est intéressante. Le persan était destiné à être rayé des appellations des vins de Savoie, comme tous les cépages dits « accessoires », car dans les années 1990 (vous voyez que ce n’est pas vieux), on trouvait qu’il y en avait trop en Savoie, et qu’il « fallait » simplifier. Le président du syndicat a fait le forcing pour qu’on fasse un conservatoire de ce cépage, qui est maintenant devenu intéressant. Ce fut difficile pour le faire accepter.

Anthony Tortul : Est-ce qu’il ne serait pas intéressant à l’avenir de faire intervenir des jeunes dans les bureaux des douanes, parce que d’un côté on a les vignerons, et même les particuliers passionnés par les cépages ancestraux, et d’un autre côté, on a l’État et les chambres d’agriculture, où il y a quand même des gens qui soutiennent ces démarches-là avec des chercheurs. Est-ce que les douanes ne pourraient pas nous fournir un début d’explication et des pistes pour essayer de réintroduire ces cépages de manière à peu près légale ?

M. G. : Non, les douanes n’y sont pour rien. Elles se sont débarrassées complètement de leur travail pour le faire faire aux vignerons… On n’a aucune chance par rapport aux douanes. C’est plus le travail qu’on fait avec l’INRA, l’IFV et ce genre d’organismes qui sera payant. Ils sont prêts. On se rend compte que pour tous ces cépages, par rapport à hier, l’inscription est plus facile : il y a quelques années, c’était dix ans, vingt ans. Il faut une révision des décrets, pour les rentrer dans les appellations. Mais les appellations ne sont pas le problème. Ce n’est pas l’appellation qui fait la qualité du vin et qui permet de vendre.

Anthony Tortul : Le problème est de savoir de quel droit on nous dit qu’un cépage du coin, qui est là depuis 500 ans, on n’a pas le droit de le planter ?

M. G. : C’est l’inscription au catalogue, donc il faut en passer par là, c’est impératif. Et après, il faut les faire entrer dans les décrets pour les appellations, c’est le seul cheminement. Mais les gens sont très intéressés par notre travail, et ils sont prêts à nouer un vrai partenariat. Un travail en commun s’est mis en route. C’est une ouverture. Le Centre d’ampélographie a adhéré à l’association des conservatoires français, et la première assemblée générale pour nous a eu lieu à Épernay dans l’été. Ce n’est que comme ça qu’on arrivera à faire bouger les choses.

R. P. : Je pense que, dans la lutte entre les instances administratives et nous, il serait bien, peut-être, d’essayer de faire classer tous ces cépages comme patrimoine international. On serait dès lors protégés, parce que j’ai peur qu’il nous arrive la même chose qu’à Cocopelli pour les plantes, les semences etc…, c’est-à-dire qu’un beau jour il y ait un gigantesque catalogue établi par les instances internationales qui diraient : au-delà de ça, tout le reste n’existe pas. Comme on classe des monuments, comme on classe autre chose, pourquoi est-ce qu’on ne demanderait pas le classement mondial de tous ces cépages ? On a une arme absolue, c’est Galet, ce qu’il a écrit est capital. Peut-être est-ce une clause de sauvegarde pour qu’un beau jour on ne nous dise pas brutalement : « Voilà, vous avez droit à ça, et à rien d’autre ».

Anne D. : Peut-être qu’en discutant avec Olivier Yobregat, il faut qu’on arrive à avoir des relations, des contacts assez proches avec les instances qui gèrent l’inscription au catalogue, le CTPS en France. Quand on a commencé dans les Coteaux du Gier sur la réhabilitation de nos cépages autochtones, en 2006, dès le départ on a fait un dossier de demande de classement. On l’a envoyé (à l’époque c’était à l’Uniflor), on n’a pas eu de retour. En 2008, il y a eu un premier assouplissement de la règlementation avec une démarche facilitée pour tout ce qui est variété historique (donc des cépages qui nous intéressent), sous réserve d’une bibliographie suffisante pour étayer. Là, on avait un parcours simplifié en termes de démarche et un raccourci en temps. Olivier a dit que, apparemment, pour l’instant il n’y a encore rien d’écrit, mais qu’il y aurait des ouvertures. Après, il nous faut reprendre contact avec les personnes concernées pour voir effectivement quelles sont ces ouvertures et, si ouverture il y a, si l’on ne peut pas enfoncer le coin. Encore faut- il que l’ensemble des personnes susceptibles d’être intéressées par ces ouvertures possibles le sachent et fassent remonter les variétés à inscrire. Parce que, quand on avait rencontré Jean-Michel Boursiquot l’été dernier chez Pascal, il nous avait dit : « Envoyez-nous des dossiers, faites-nous remonter les variétés que vous souhaitez inscrire pour qu’on voie, qu’on examine rapidement. » Sauf que pour nous, en Rhône-Alpes, porter un dossier, c’est long, c’est lourd, ça peut être coûteux. On ne peut pas non plus faire tout remonter. L’idée c’était aussi de faire remonter des variétés qui semblent avoir un potentiel, ou du moins qui sont vouées à être plantées et commercialisées.

Il y a deux volets, en fait. Le premier serait le volet un peu « conservatoire » : en termes de biodiversité, de patrimoine, on garde, on préserve pour demain ; le deuxième serait un volet plus « dynamique », ce que disait M. Plageoles : on plante et derrière, on vinifie, parce que nous nous sommes bien rendus compte, dès la création du réseau, que dès qu’on commençait à parler ampélographie, les gens, consommateurs compris, étaient noyés. Par contre, dès qu’on prenait la problématique au travers du vin, c’était beaucoup plus parlant. On prenait le chemin inverse, on partait du produit, c’était plus concret. C’est pour ça qu’on s’est dit dès le départ : conservatoire, c’est bien, mais vigne expérimentale, c’est mieux, et microvinification, c’est encore mieux. Alors après, c’est une question d’organisation, d’où l’idée que, si on n’en est pas encore au niveau international, on peut déjà travailler au niveau français, puis voir éventuellement au niveau européen. Mais comment fait-on ?

Quant à la question des financements, à la limite, ce n’est pas le problème. Il faut avoir un projet, et une fois qu’on a le projet et les gens autour, on peut monter les dossiers. Chacun a des compétences que l’on peut mobiliser. Mais avant d’avoir les dossiers (et sous réserve de ne pas se faire embarquer dans un sens où on ne veut pas forcément aller), il faut savoir déjà ce que nous voulons faire ensemble. Après, on trouve les manettes qui donnent accès aux fonds.

Et je voudrais revenir deux minutes sur la question de la réhabilitation des anciens cépages. C’est une problématique centrale et il faut voir comment on la mène. Pour nous, dans les Coteaux du Gier, l’idée était vraiment de montrer en quoi les anciens cépages pouvaient être un levier de développement pour des petits vignobles, par le supplément d’identité, par le facteur de typicité qu’ils apportent. Non qu’on ait oublié le volet biodiversité et ampélographie pure et dure, mais notre réflexion était : comment utiliser la réhabilitation des cépages anciens pour faire quelque chose de nouveau qui permette d’installer aussi de nouveaux vignerons et de générer une réussite économique?

Salle (O. Y.) : Juste un petit mot pour préciser deux ou trois choses. Pour les inscriptions au catalogue, effectivement, les Italiens ont été beaucoup plus malins que les Français. Ils ont un nombre de cépages autochtones un peu supérieur (en France on a 300 cépages inscrits au catalogue, les italiens en ont plus de 500). Ils ont gardé quantité de variétés inscrites dans leur catalogue, pour le cas où…, et ils ont bien fait. Nous nous sommes montrés rapidement beaucoup plus restrictifs.

Maintenant, pendant très longtemps, il y a eu des règles très strictes d’inscription au catalogue, des protocoles qui n’avaient pas lieu d’être, c’est très clair, qui retardaient les démarches, donnaient à cette inscription au catalogue un aspect beaucoup trop important par rapport au travail technique de base qui est de vouloir cultiver des cépages. Un vigneron a le droit de cultiver tous les cépages qu’il veut. C’est mon avis. La règlementation n’aurait jamais dû être, de ce point de vue, aussi restrictive, au point de bloquer les initiatives des gens. Malheureusement, c’est assez difficile de faire changer les choses. Mais elles ont changé. Aujourd’hui, il y a un assouplissement. Effectivement, on peut demander l’inscription avec un peu de bibliographie. Il y a quelques examens à faire, à partir du moment où les cépages sont en production massale, il faut montrer que la variété est bien distincte d’une autre, avoir un nom officiel à inscrire… Aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple aussi parce que le secrétaire du CTPS a changé, il est un peu plus souple que le précédent. Comme on l’a dit une ou deux fois, le fait que ça se passe mieux ou moins bien tient moins au dossier qu’à la personne qui le traite. Aujourd’hui, ce qui est sûr, c’est qu’il y a une réelle volonté de faciliter les inscriptions au catalogue, à condition d’apporter un minimum de cohérence : il faut une variété bien identifiée, amener quelques éléments sur la table, mais ça n’a plus rien à voir avec les protocoles affolants qui étaient demandés il y a encore un an.

(voir suite du débat : intervention de Robert Plageoles)